Chers lecteurs et lectrices, voici un texte publié sur un réseau social qui m'a été envoyé, suite à mon commentaire sur le conflit actuel à Gaza dans lequel je m'indignait de voir avec quelle rapidité l'opinion publique avait déjà oublié les massacres perpétrés par les terroristes du Hamas. Ma réponse à ce texte se trouve plus bas. (Je ne cite pas le nom de la personne qui m'a envoyé le texte). Bonne lecture !
GAZA et JERUSALEM 1000 ans avant notre ère …
Au
commencement était le métissage.
Et
si on parlait d’une ville (Gaza) et d’un village (Jérusalem),
1000 ans avant notre ère ? L’Histoire – la vraie - recèle
toujours des vérités enfouies qu’il faut chercher comme des
trésors dans les entrailles de la terre. La vérité est que les
Israéliens d’hier (ancêtres réels ou choisis des Juifs
d’aujourd’hui) et les Philistins d’hier (prédécesseurs des
Palestiniens à qui ils ont donné leur nom) se mélangèrent pour
former une constellation de populations au final assez proches
contrairement à ce que martèlent les fadaises bibliques et
coraniques. Ce n’est pas moi que le dit, c’est l’ADN des tombes
de Gaza et de Judée, c'est l’archéologie des sites palestiniens
et israéliens, c'est l’analyse intertextuelle des sources.
A
l’origine était le métissage. Explications
A
l’âge du Bronze, au 12e siècle avant JC, les Peuples de la mer
(d’origine égéenne c’est à dire crétoise, anatolienne,
chypriote) émigrent au Levant. Ces pirates ont un haut degré de
civilisation (proto-écriture, maitrise de la céramique et du fer).
Ils abattent l’Empire Hittite, le royaume d’Ougarit, menacent
l’Egypte. Repoussés par Ramses III, ils envahissent son vassal, le
pays de Canaan, c’est-à-dire des territoires sémitiques couvrant
les actuels Israël, Palestine, Liban et Sud Syrie.
Un
de ces peuples, les Philistins, s’établit sur la plaine côtière
de Gaza à Jaffa. Ils fondent des cités-états florissantes : Éqron,
Ashdod, Ashkelon, Gath et Gaza. Ils donnent leur nom au pays :
Palestine. Le terme Palaistinè apparait sous la plume du géographe
grec Hérodote, c'est une forme dérivée de l'araméen pelištaʾīn
pour dire Philistins. On entend encore cette origine en arabe et en
hébreu. Au 12e siècle avant notre ère, Gaza devient donc une cité
égéenne au haut degré de civilisation. On va revenir au Philistins
et à leur métissage dans quelques instants …
Au
même moment, en ce 12e ACN, des populations rurales déracinées
s’installent dans les hautes terres inoccupées des actuels Judée
et Cisjordanie. Ces populations cananéennes s’appelleraient les
Israélites (nom générique apparu aux alentours de 1200). Il est
frappant de constater que les noms de Palestine et d’Israël
surgissent en même temps.
Pourquoi
les Israélites occupent-ils les hautes terres si peu fertiles et où
l’eau est si rare ? Pour se mettre à l’abri des Peuples de la
Mer. Peut-être. Mais ces populations sont peut-être aussi issues
d’un exode social : des marginaux, les Apirous fuient les violentes
oligarchies inégalitaires des cités cananéennes. Le petit village
de Jérusalem (Urushalim), sur un site abandonné qui renait à cette
époque, aurait donc pour origine un exil de pauvres déracinés ?
Oui. Comme Gaza aujourd’hui.
Il
semble que dans les hautes-terres de Judée, ces marginaux
sédentaires établis dans une vingtaine de villages se soient mêlés
aux populations pastorales, les Shasous, des nomades venus du Néguev.
Premier métissage. Tous vivent dans un cycle alternatif de
sédentarisation-nomadisation car la pluviométrie est faible et
inconstante. Comme aujourd’hui. Parenthèse archéologique : on ne
trouve très peu d’armes dans ces sites, preuve que la population
est extrêmement pauvre. Autre parenthèse, on ne trouve aucun os de
cochon. Pas de porc au menu pour les populations semi-nomades de
Juda. Pourquoi ? Essayez de faire transhumer des cochons et vous
verrez.
Et
Gaza ? Gaza rayonne. Sa culture matérielle (urbanisme, économie,
arts domestiques, armes, proto-écriture) demeure plutôt en pointe
dans le monde du Levant comme le démontre Israël Finkelstein, chef
du département d’archéologie de Tel-Aviv. Cette cité va se
métisser avec ses voisins. Selon les sources égyptiennes et les
informations intertextuelles bibliques, il apparait que les pauvres
bergers israélites s’enrôlent comme mercenaires chez les
Philistins. Il est vraisemblable que ces personnages anonymes aient
inspiré le fictif David dont la Bible écrite des siècles plus tard
fera un roi fondateur mythique. Mais un autre personnage biblique
légendaire incarne le lien entre Israël et la bande de Gaza : le
héros Samson, sorte d’Hercule biblique, qui va carrément épouser
une jeune fille philistine : Dalila (nom signifiant en hébreu «
Porte de la nuit » et « Guide » en arabe). Elle vient de la vallée
de Sorek, faubourg de l’actuel Ramallah (on voit que ces Philistins
Palestiniens étaient donc déjà – eux aussi - en Cisjordanie,
c’est la Torah qui le dit, alors …).
Mais
que nous dit ce mythe de Samson et Dalila ? Que les Philistins venus
de Gaza et les Israélites des Hautes Terres se métissent. Et que
dit l’archéologie et la génétique ? La même chose. Les
échantillons ADN des tombes du début de l’âge du fer montrent un
mélange grandissant entre populations d'origine européenne (les
Philistins) et populations sémitiques (Cananéens Israélites). Les
signatures génétiques des squelettes trouvés à Ashkelon sont sans
appel. Je vous renvois aux travaux de Daniel Master, Michal Feldman,
Aren Maeir. Les dernières sépultures philistines ont des signatures
génétiques similaires aux populations locales.
Cependant
cette rapide assimilation génétique des Philistins ne va pas
modifier leur culture, clairement identifiable pendant des cinq
siècles, jusqu'à la destruction / déportation des élites
philistines par les Babyloniens en 604 ACN. Ce peuple philistin mêlé
aux Cananéens Israélites, va se fondre au monde hellénistique à
partir du 4e siècle ACN et rester grec de langue jusqu’à la
conquête arabe au 7e siècle PCN, et même longtemps après. Certes
mais quel rapport avec le métissage ? Il est dans la Bible, ce
concentré de métissage culturel. Ecrite par strates entre le 7e
siècle et le 1e siècle avant JC, elle comporte des influences
diverses et notamment grecques. Une influence hellénistique tardive
via notamment l'extraordinaire diaspora juive en Egypte Ptolémaïque
? Certes. Mais qui sait si le mythe de Samson inspiré d’Hercule et
le mythe de David et Goliath inspiré d’Homère, ne sont pas venus
aux Hébreux de Jérusalem via les Philistins hellénisés de Gaza ?
Pour
finir, quittons la cité de Gaza et revenons à Jérusalem, petit
village israélite isolé au 10e siècle ACN. L’identité israélite
naissante est-elle ethnique ? Non. Les chefferies de Juda (Judée) et
de Cisjordanie (Israël qui deviendra Samarie) construisent leur
identité autour de généalogies tribales similaires ou qu’on va
rapprocher. Autour d’une langue hébraïque aussi mais qui n’est
pas encore ou si peu écrite (et qui sera remplacée à l’époque
Perse par l’araméen venu de Syrie). Autour d’une vénération
commune également, celle du dieu « Yhwh », Yahvé avec des
voyelles, une divinité fonctionnelle de la nuée dans ce pays qui
manque d’eau.
Mais
ce Dieu marié à la Déesse Asherah, n’est absolument pas un Dieu
unique puisque les Israélites sont polythéistes comme leurs voisins
philistins et comme tous les peuples du Levant.
Pas
d’identité fondée sur une unité ethnique alors ? Non. Pas plus
que pour les Philistins de Gaza. L’élément originel cananéen du
peuple d’Israël s’est métissé au Sud, avec les bédouins du
Néguev, au Nord avec les Phéniciens et les Araméens et à l’Ouest
avec les Philistins.
Cette
origine métisse du peuple d’Israël est probablement à l’origine
de l’obsession endogamique aux relents racistes qu’on retrouvera
dans la Bible, ce livre qui va construire une identité nationale et
religieuse israélienne sur une saga passionnante mais fausse. On ne
répétera jamais assez que la Torah est, comme le Coran, un roman
nationaliste postérieur de plusieurs siècles aux événements
réels. Et les évènements réels disent que Gaza et Jérusalem
viennent du même monde et des mêmes peuples.
Comme
le symbolise cette image de Samson et Dalila tiré d’un Grand opéra
de Saint-Saëns ou de Haendel. Bon samedi les gens et n’oubliez pas
: les lueurs d’espoir viennent de l’histoire …
Voici ma
réponse :
Monsieur,
Votre
analyse est partiale et réductrice ! Cela peut se comprendre,
puisque votre texte semble être inspiré par les écrits de Mr
Israel Finkelstein qui est un archéologue biblique « minimaliste ».
Ce qui signifie que cet archéologue ne considère pas le récit
biblique comme étant fiable et digne de foi. Venant de la part d'un
scientifique, c'est regrettable, car il se prive ipso
facto
d'une source textuelle majeure. Mais, il est bien connu que les
textes bibliques sont souvent relégués au placard dans les milieux
académiques. Drôle d'attitude pour des gens qui prétendent être
« ouverts » à la vérité historique.
Reprenons
votre texte :
Vous
opposez la « ville » de Gaza au « village »
de Jérusalem, mais à l'époque du roi David, dont vous semblez nier
l'existence, la cité de Gaza, une des cinq cités des Philistins,
n'était pas plus grande que Jérusalem.
La
cité de Jérusalem (l'ancienne Jébus des Cananéens) fut prise de
force par le roi David vers l'an 1000 av. J.-C. C'était une
citadelle fortifiée dont David fit sa capitale. Gaza et Jérusalem
étaient comparables en taille, excepté que la Cité de David était
bâtie sur une colline, alors que Gaza était installée sur le
littoral Levantin.
Mr
Finkelstein affirmait que l'existence de ce roi était mythique !
Cependant, plusieurs découvertes archéologiques récentes attestent
le contraire :
La
stèle de Tel Dan,
retrouvée en trois fragments entre 1993 et 1994 mentionne « la
maison de David ». Cette pierre fut gravée par le roi d'Aram
Hazaël après sa guerre contre Israël en - 840. L'inscription
mentionne aussi Joram (852-841), fils d'Achab et Achazyahu
(Ochoziaz), de la maison de David (842-841), qu'il aurait tué. (Le
responsable du double meurtre serait plutôt Jéhu, comme indiqué
dans la Bible en II Rois 9). Plus tard, la stèle avait été
réutilisée par les Israélites comme pierre de pavement à Tel Dan.
(Cette découverte n'est pas un faux, car retrouvée in
situ
par les archéologues).
La
stèle de Mesha,
datée de – 830 est une autre inscription mentionnant également
« la maison de David ».
Certes,
il y a peu de découvertes mentionnant directement le roi David ou
son fils Salomon, mais comment se fait-il alors que bon nombre de
leurs successeurs, dont l'existence est confirmée par l'archéologie,
se soient réclamés descendants de la « Maison de David » ?
Bien
sûr qu'il y a eu des unions entre les Israélites et les citoyens
d'autres peuples ; ce qui est courant dans toutes les
civilisations et à toutes les époques. Cela est d'ailleurs confirmé
par l'Ecriture. Mais cette mixité ne fut pas aussi importante que
vous le dites, car les « païens » qui rejoignaient le
peuple d'Israël devaient suivre les coutumes et les règles
religieuses propres à l'ancien Israël (ce qui n'est pas évident
lorsque l'on connait les règles de la Torah). De ce fait, ces gens
s'intégraient au peuple d'Israël avec une certaine difficulté.
C'est
ainsi que le peuple d'Israël d'aujourd'hui est constitué de gens de
tous horizons ! D'abord, des descendants des tribus de Juda, de
Benjamin, de Siméon et des Lévites (la classe sacerdotale).
Ensuite, des membres des autres tribus d'Israël qui se sont joints à
eux, après la conquête assyrienne des tribus du nord en – 722.
Enfin, il y a un certain nombre d'étrangers qui se sont rangés aux
côtés du peuple juif après le retour d'exil de Babylone.
N'oublions pas non plus ces milliers de Falashas descendants des
unions entre Israélites et Ethiopiens à l'époque de Moïse, et
plus tard, lors des échanges entre les citoyens de la reine de Saba
et ceux du roi Salomon. Ces Falashas éthiopiens sont la preuve
vivante de ce fait historique, car leur judaïsme est préexilique.
Ce
que je veux dire, et a
contrario
de votre insistance sur les preuves ADN des uns et des autres, c'est
qu'il ne s'agit pas ici d'une histoire de race, mais plutôt de choix
culturel, de coutumes et de religion.
Il
est vrai que les Israélites se sont installés principalement sur
les hautes terres de Judée et Samarie vers le XIIIe siècle avant
J.-C. Mais, ils étaient déjà présents dans tout le pays depuis la
conquête éclair de Josué vers 1406 av. J.-C. ! Et, c'est en
raison de l'invasion des Philistins, s'ils ont préféré se
regrouper sur les Hautes Terres.
Oui,
les Philistins étaient meilleurs guerriers et ils étaient plus
raffinés que les Israélites, mais ils sacrifiaient aussi leurs
nouveau-nés à leur abominable divinité et ils vivaient dans la
débauche, ce que la Torah (le Pentateuque) interdisait formellement.
Les
Israélites ne sont pas des Cananéens, comme le pense Mr
Finkelstein ! Les Apirous (parfois orthographiés Habirous)
mentionnés dans les tablettes cunéiformes de Tel el-Amarna sont des
gens qui étaient en train d'envahir Canaan au début du règne
d'Aménophis IV. Ces lettres d'El-Amarna décrivent des rois
cananéens aux abois demandant au pharaon de l'aide pour combattre
ces envahisseurs. Canaan était alors sous protectorat égyptien. Et
visiblement, ni Aménophis ni son fils, Toutankhamon, ne sont
intervenus.
Je
vous invite à consulter le compte-rendu des fouilles archéologiques
de Bryant Wood concernant la destruction de Jéricho datée de cette
époque.
Ces
Apirous ne sont rien d'autre que ces Israélites sortis 40 ans plus
tôt d'Egypte !
Certains
égyptologues demeurent encore sceptiques quant à la présence des
Hébreux en Basse-Egypte. Et pourtant ! Qui sont ces Hyksôs,
appelés aussi « Pasteurs étrangers » ou « Pasteurs
asiatiques » par les Egyptiens ?
Les
Hyksôs sont arrivés en Egypte vers 1730 av. J.-C. pour s'installer
à l'est du Delta du Nil où leurs troupeaux pouvaient se rassasier
d'une herbe abondante. Ces gens ont prospéré au point de devenir
une menace pour les nouveaux dirigeants égyptiens du Nouvel Empire.
Une partie des Hyksôs a été chassée vers – 1570, tandis qu'un
reste est tombé en esclavage, jusqu'à sa délivrance lors de
l'Exode (un second exode, dont le prêtre égyptien Manéthon a fait
écho).
Les
Hyksôs regroupaient plusieurs peuples de bergers venus de l'Est,
dont des descendants d'Esaü, de Moab, d'Edom et de Jacob. Ne
trouvez-vous pas étonnant que l'on ait mis au jour un cartouche avec
l'inscription « Yacoub-Har » traduit aussi
« Yacoub-El » ?
Les
descendants de Jacob, faisant partie des Hyksôs, sont devenus les
Habirous des textes anciens. Ces gens sont tout simplement les
Israélites !
Je
vous invite à consulter les travaux de l'archéologue autrichien
Manfred Biatak : Avaris,
The Capital of the hyksos, Recent Excavations at Tell el-Dab'a.
Publié par le British Museum Press, London, 1996.
Malheureusement,
les enfants d'Israël n'ont pas toujours été fidèles à l'alliance
conclue au mont Horeb ni à l'enseignement des prophètes ; la
Bible le confirme. Et c'est souvent pour cette raison qui leur est
arrivé des malheurs ! (Voir le livre du Deutéronome, chapitre
28).
Mais,
la Bible n'est absolument pas raciste et surtout pas obsédée sur
l'origine raciale d'un peuple ou l'ADN d'une autre ethnie.
Par
contre, son enseignement met en garde les croyants au sujet des
mariages entre personnes croyantes et non-croyantes. Si cela n'a plus
beaucoup de sens de nos jours, vous devez bien comprendre que dans
l'Antiquité les pratiques païennes étaient parfois abominables
(sacrifices de nouveau-nés, débauches sans limite, beuveries,
prostitution sacrée, etc).
La
Bible, qui englobe la Torah, n'est pas un livre nationaliste, comme
vous l'écrivez : elle s'adresse à tous les êtres humains,
mais nombreux la rejettent par orgueil, par ignorance ou tout
simplement parce qu'elle nous révèle notre nature humaine profonde,
et ça, on n'aime pas trop !
Pour
conclure, permettez-moi de vous dire : Non ! Gaza et
Jérusalem ne viennent pas du même monde, mais le jour viendra où
la paix sera établie entre ces deux mondes. Une paix que l'homme
n'est pas capable d'établir lui-même.
Salutations